Mercredi 18 novembre
Texte: Edmond
Photos: Martine
C’est encore une fois au son des coqs s’apostrophant dès l’aube qu’on se réveille dans les cabañas du Tesoro de Elqui. Un endroit cependant charmant, dans un jardin bien aménagé, fleuri de roses trémières, de dahlias et de multiples autres espèces dont un figuier géant. Dommage que le confort de la salle de bain soit un peu approximatif, au moins autant que l’espagnol de la tenancière.
On sort de Pisco Elqui pour redescendre à Vicuña, en traversant une mer de vignes, toujours abritées par leurs filets transversaux qui en hâtent la maturation et forcent le degré alcoolique.
A Vicuña, grosse bourgade agricole où naquit l’inévitable Gabriela Mistral, la Place Centrale (Plaza de Armas) se signale par un édifice curieux, la Torre Bauer, sur laquelle on se documentera plus tard, il y a plus urgent. Toutes les villes fondées par les espagnols au XVIéme ou XVIIème siècles l’ont été sur le modèle des bastides médiévales. On quadrille un espace par des rues orthogonales. Chacun des carrés délimités ainsi se nomme « cuadra ». La cuadra centrale est évidée pour former une place sur les bords de laquelle on installe l’église, toujours dans un coin, et le cabildo, ou la maison du gouverneur au centre du côté voisin. Les personnalités éminentes se partageaient les autres lots de la place, qui sont le plus souvent devenus à la longue des banques et des hotels. Au centre, les arbres les plus spectaculaires.
La Place de Vicuña n’échappe pas à la règle.
Vicuña, Torre Bauer.
Vicuña, l’église. En dépit des apparences, de nombreux éléments de la façade sont en bois, et pas en très bon état.
Après Vicuña, le but est d’attraper la ruta Antakari qui est signalée par diverses cartes comme assez bien carrossable et dont le nom seul est une promesse d’étrangeté. Il s’agirait d’une très ancienne route indienne, au moins s’accroche-t-on à cette interprétation romanesque. Elle va vers le sud par une vallée parallèle à celle du haut Elqui pour rejoindre le bassin du Limari et la ville d’Ovalle qui en est la capitale. La première difficulté est d’identifier l’entrée de la route qui n’est signalée que dans un seul sens de circulation, évidemment pas le nôtre. La chose étant faite, la seconde difficulté est de reconnaître dans le chemin de terre qui s’ouvre à nous, très charmant entre les eucalyptus, la route soi-disant semi goudronnée qu’annonçaient certaines cartes.
Entrée de la ruta Antakari.
La troisième difficulté est d’ordre psychologique. Sachant que le panneau à l’entrée nous dit que la ville d’Ovalle, but de la journée, est à 126 kms, faudra-t-il se farcir 126 kms de piste ? Bon, elle parait assez roulable, allons-y.
Misère, dès le km 10 il faut se résoudre à l’évidence : la chaussée est de plus en plus défoncée, il faudrait idéalement un 4X4, surtout dans les montées, et non pas une Suzuki lambda, mais trop tard on est dans le bain, on boira la coupe jusqu’à la lie, ou l’hallali, et on s’enfonce dans la steppe avec une vue au loin sur le télescope Tololo (4 m d’envergure, pas sur la photo, tant pis).
Ruta Antakari, solitude et tranquillité garantie.
Ruta Antakari, traversée d’un arroyo (à sec, sauf quelques jours par an).
Ruta Antakari, pour méditatifs absolument : le vent, le soleil, ici tamisé par un léger voile nuageux, la rareté des contacts humains…
La piste détestable, auquel finalement et contre toute attente résistera la Suzuki, durera jusqu’à Hurtado, soit 60 kms parcourus en trois heures, environ, après quoi ce sera mieux. Mais en fin de compte c’est de ce mauvais moment d’inquiétude qu’on gardera le meilleur souvenir, ainsi que des quatre entités vivantes croisées dans ce laps de temps, à savoir un 4X4 au départ, un camion ensuite, une camionnette et finalement ces deux muletiers, leur âne et leurs deux chiens...
A Hurtado on retrouve une vallée irriguée où on développe la vigne produisant des raisins de table qu’on retrouve à Noël sur les tables d’Europe et des Etats-Unis. La route devient semi civilisée, et nous parait merveilleuse, puis rapidement d’une qualité quelconque.
Dans les bosquets d’épineux qui nous surplombent s’agitent et criaillent des groupes de perroquets. Ils portent le nom indien de « tricahue ».
Vol de tricahue, région de Pichasca.
Région de Pichasca, marmites de géants en formation sur un ruisseau périodique.
Les localités minuscules se multiplient à mesure que la vallée irriguée dans le fond se renforce et s’élargit. A Pichasca un petit parc naturel offre aux regards son abri sous roche où opère pour l’éternité un indien de 2 000 avant JC, un diplodocus de 70 millions d’années avant moi, et des troncs d’arbre pétrifiés encore plus vieux.
Indien préhistorique opérant une mystérieuse affaire…
Dinosaure un peu ringard…
Et son héritier modeste mais bien vivant.
Tronc pétrifié.
Cabane traditionnelle d’indien Diaguita….Au fond le petit enclos (corral) en pierre où on enferme les chèvres le soir.
Au bout de 7 heures de route pour parcourir 160 kms, on finit dans une région très irriguée avec une route vraiment excellente ; on touche à Ovalle, ville de 60 000 habitants, sa place d’armes, son hôtel classique inauguré par le président Videla en 1947, et qui a conservé de cette époque une absence d’ascenseur et une robinetterie vintage, une réceptionniste glamour, et une cliente vamp-fantôme qui hante les couloirs faiblement éclairés, où aucun coq ne nous dérangera, mais sûrement les hululements d’ambulances et d’alarmes inopinément réveillées.